Il est indéniable que ces dernières années l’ESG- sigle qui désigne les critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance utilisés pour analyser et évaluer la prise en compte du développement durable dans la stratégie des entreprises- a gagné en importance.

L’entrée dans l’âge adulte

Né dans les années 90, l’ESG alors ressemblait aux balbutiements d’un bébé. Un ESG bien intentionné, empreint d’angélisme pouvait être relevé dans les rapports des agences de notation de l’époque mais un ESG déconnecté de la réalité des entreprises et de celle des marchés, observe Sébastien Thévoux-Chabuel.
Progressivement, la donne a changé et en 2018 un déclic s’est activé : l’ESG est devenu adolescent. Il y a cinq ans, l’ESG était devenu la tendance à laquelle les acteurs de l’industrie souhaitaient participer et y être vu.
Cette adolescence atteint son pic fin 2021 avec un alignement des intérêts des régulateurs, dirigeants politiques, chefs d’entreprises, administrateurs, clients, investisseurs, citoyens…
L’arrivée de la crise énergétique en 2022 avec la guerre en Ukraine a amené son lot de chamboulement sur ce terrain. Les diverses parties prenantes se sont alors retrouvées face à une situation plus compliquée dans laquelle des choix significatifs devaient être pris. Si la volonté d’agir contre le changement climatique, ou encore la quête de la parité et de la justice sociale étaient encore palpables, les voies pour y parvenir ne s’avéraient plus aussi simples, constate Sébastien Thévoux-Chabuel. Et c’est ainsi que l’ESG est alors entré dans l’âge adulte.

Le spectre de la « danonisation de l’ESG »

Les hésitations à opérer les arbitrages qui s’imposent se sont renforcées avec le surcout générée par la poussée fiévreuse de l’inflation, le renchérissement des conditions financières et la prolifération des exigences règlementaires.
« L’industrie de la gestion s’est aperçue que la règlementation définie autour de l’ESG pouvait s’avérer couteuse voire douloureuse » relève le responsable de la finance durable de Comgest.
Avec la compilation des mesures adoptées par les autorités de supervision françaises et européennes, l’ESG -qui jusque-là était une belle carotte pour faire venir tout le monde- s’est érigé en un sacré bâton.
Le spectre de la « danonisation de l’ESG » s’est alors profilé à l’horizon. Désormais un fonds ESG, à l’instar d’un yaourt de Danone, porté auprès des consommateurs il y a une dizaine d’années par des allégations en matière de défenses immunitaires, doit être capable de démontrer ses vertus.
Pour rappel, après 2 ans d’allers-retours avec l’Union européenne qui exigeait des preuves scientifiques à l’appui, et alors que la Danone avait des éléments à faire valoir, le degré d’exigence similaire à celui qui prévalait dans l’industrie de la pharmacie était tel, que la multinationale alimentaire française a préféré abandonner ses assertions.
Cette épée de Damoclès ne sera pas sans incidence. Il est à pressentir que certaines sociétés de gestion opteront pour le silence de crainte de s’exposer à de trop gros risques.
Un mutisme pour lequel n’optera pas Comgest pour qui l’ESG est une partie intégrante des stratégies d’investissement depuis longtemps. L’investissement dans les pays émergents dans les années 80-90 supposait une attention toute particulière à l’aspect gouvernance des sociétés afin de limiter le risque de manquement à des principes de base comme l’absence de fraude, et à l’aspect social pour contrer la menace de violation des droits humains. Progressivement, l’aspect environnemental a également pris toute sa place en raison des risques physiques palpables identifiés et de la nécessité pour Comgest d’endosser sa part de responsabilité dans la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau global, commente Sébastien Thévoux-Chabuel.

Sortir des sentiers battus

Chez Comgest, l’ESG est une composante déterminante de la performance, une facette essentielle de la qualité des sociétés qui entrent dans les portefeuilles d’investissement.
Faire de l’ESG c’est éviter les risques et saisir des opportunités d’investissement, souligne Alistair Wittet. Eviter les risques en premier lieu avec, pour exemple, le cas emblématique de Casino, société phare de la grande distribution en France pour qui la mauvaise gouvernance a eu un impact majeur sur la contreperformance financière. Pour rappel, le pilotage de l’actionnaire majoritaire de l’entreprise dont l’objectif premier était le remboursement du principal et des intérêts d’une dette de plusieurs milliards d’euros avait conduit à la cession d’actifs stratégiquement importants et à une mise à mal des résultats générés.
L’ESG peut aussi amener à saisir des opportunités nouvelles avec l’illustration de la société Sika entreprise évoluant dans le secteur de la construction. La société a été en mesure de se doter d’un process de fabrication générant moins de CO2, de recycler le ciment au lieu de le bruler et de trouver des solutions biologiques permettant de produire du ciment de manière circulaire. Autant d’actions qui lui ont permet d’accélérer sa croissance si bien qu’au premier semestre 2022, Sika a annoncé un chiffre d'affaires de 5,3 milliards d'euros, soit une hausse de +18% par rapport à la même période l'année dernière.
L’ESG pratiqué au sein de la société de gestion suppose néanmoins des prérequis : un travail d’investigation approfondi, l’absence de préjugés sur un pays ou un secteur entier, l’attachement aux seuls fondamentaux de la société, et le détachement à un quelconque benchmark pour éviter de tomber dans des prismes ou dans les biais.

Des conditions préalables qui donnent l’aptitude de sortir des sentiers battus, d’explorer des territoires insoupçonnés et de trouver de belles histoires d’investissement y compris dans des secteurs controversés, évités car supposés trop périlleux d’un point de vue réputationnel du fait des incidences décriées dans certains rapports d’ONG… tels que l’élevage du saumon avec la société Bakkafrost, éclaire Pétra Daroczi.

Une démarche qui permet donc de trouver des idiosyncrasies, des sociétés dont la genèse, le parcours, et l’actionnariat atypiques, les rendent intrinsèquement différentes de leurs concurrentes malgré les apparences.
Des prérequis qui permettent d’être très à l’aise avec les aspects de durabilité des sociétés investies et d’adresser la question de la règlementation de manière claire, authentique, sans zones obscures sur la qualité des critères et la robustesse du process déployé, conclut Sébastien Thévoux-Chabuel.